dimanche 25 novembre 2012

Sous la blouse, les moustaches

Il y a eu ce grand garçon qui tremblait et qu'on ne pouvait pas laisser seul que j'ai essayé de réchauffer en lui frottant les épaules à m'en faire des cloques. Il y a eu cette maman qui me demandait de confirmer les informations que le chef lui donnait, comme si c'était moi qui savait. Il y a eu cette petite fille qui n'a pas voulu ouvrir la bouche de la consultation mais qui m'a dit dit ourvouar en repartant chez elle. Il y a eu ce bébé au front grand ouvert et sa maman qui rigolait alors qu'on le recousait à vif. Il y a eu ce parent qui s'est énervé contre moi et la chef qui est venue me défendre. Il y a eu cette gamine chouineuse qui a arrêté de pleurer contre une compote et un tope-là. Il y a eu la suspicion de maltraitance qui m'a fait dévorer un muffins pour penser à autre chose. Il y a eu ce muffins mangé au milieu des patients adultes à moitié déments et l'envie de vite retourner en pédiatrie. Il y a eu cette phrase "merci pour votre patience". Il y a eu la discussion sur le Canada au milieu d'une consultation pour une otite. Il y a eu les yeux écarquillés lorsque j'ai dit que j'en étais à ma quatorzième heure dans le service. Il y a eu les rires sous kalinox et la main qui sert fort la mienne, quand même. Il y a eu les fou rires avec les infirmières, les chocolats partagés avec l'interne, et la fatigue qui te tombe dessus quand tu fermes la porte des urgences derrière toi. 


mercredi 21 novembre 2012

Je ne m'assieds toujours pas sur le lit, mais je crois que j'ai trouvé ma place sur le fauteil. Quand j'entre dans leur chambre elles me sourient, on se retrouve depuis la veille et même si rien ne s'est vraiment passé on fait comme si j'avais plein de choses à leur demander. On discute de ces quelques grammes qui conditionnent leur retour dans la vraie vie, celle qui leur fait peur. Il y a même celle qui ne veut parler à personne mais que j'ai fait rire quelques instants. Celles qui m'impressionent, celles qui me font peur, celles qui me touchent, celles qui m'énervent à ne pas guérir alors que je voudrais les voir sourire, comprendre, avancer, et ne plus revenir entre ces murs froids parce qu'elles ont craqué, seulement quelques jours après leurs retrouvailles avec le monde du dehors. Et à les voir, je crois que moi aussi, j'avance.

Dimanche matin bien trop tôt, devant l'ascenceur qui me fait arriver en retard chaque matin parce que je vais très haut et qu'il y a toujours des gens pour s'arrêter à tous les étages avant le mien, j'ai pensé qu'ils m'avaient manqués, les enfants. Une semaine passée dans un autre service sans petite main pour attraper mon stéthoscope, et j'étais heureuse de revenir. Peut être que j'ai bien fait de ne pas abandonner l'an dernier, en fait.


vendredi 9 novembre 2012

De l'autre côté de la mer

Il y a la mer autour de nous, à côté un petit port avec un nombre incroyable de crèperies, et je sais déjà que je choisirai citron-sucre au dessert, évidemment. Dans la boutique de produits régionaux j'ai du  rassembler mes forces pour ne pas paniquer devant tant de choses que j'aime mais que je m'interdis de manger. J'ai pensé à P. qui m'a un peu parlé de cette relation compliquée à la nourriture, et j'ai choisi plus sereinement. Du salidou, des palets bretons, un kouign amman pur beurre, du cidre. Il s'est moqué de mes yeux qui disaient "miaaaaaam" au rayon gateaux & chocolats, mais la manière qu'il a de m'imiter m'a fait bien trop rire pour angoisser à nouveau.

J'ai réussi à croiser la petite personne pour laquelle j'ai le plus d'amouraumonde sur la plage où il découvrait le sable. Quand je l'ai vu de loin tituber sur ses jambes je me suis sentie tremblante, submergée par quelque chose de chaud dans mon dedans, et j'ai couru, en talons oui, dans le sable oui, pour le prendre dans mes bras le plus vite possible. Il ne m'a pas reconnue, mais pas de temps pour chouiner, seulement faire le plein de ses joues pleines, chaudes, ses bouclettes, son odeur d'encore-bébé-déjà-trop-grand. Face à la mer, les joues rouges du vent trop froid, j'ai pensé à ma copine de Paris dans sa petite chambre près du ciel et j'aurais voulu lui préparer des litres de thé pour la consoler.

Dans le jardin il y a des arbres immenses, du cake à la canelle sur la table du petit déjeuner, à côté de moi un garçon respire doucement. Il me les a dit, hier, ces trois mots précieux, et sans que j'y crois vraiment, je les tourne & retourne dans ma tête, comme la pierre en forme de coeur ramassée sur la plage hier.






mardi 6 novembre 2012

Je veux bien y croire

On parlait de sa fille allongée dans ce petit lit, son autre fille abandonnée en panique à la maison quand la première avait commencé à s'étouffer, de son mari, qui doit dormir la nuit, et d'elle qui ne dort pas, fatiguée, c'est tellement dur, quand les larmes ont perlé. Les siennes. Je lui ai proposé de garder sa toute petite le temps qu'elle aille respirer, boire un jus d'oranges frais, celui des lendemain de garde, et regarder le soleil qui ne brille pas en pédiatrie. L'idée de rester dans cette chambre calme quelques minutes, loin de l'agitation des blouses qui se bousculent dans les couloirs, se bousculent dans le bureaudesmédecins, se bousculent autour des patients me tentait bien. "De toute façon, elle ne va pas vous lacher", elle a dit. Et de voir cette minuscule petite chose endormie contre ma main, ses doigts aggripés autour de ma montre, et sa maman qui souriait un peu, derrière les cernes, les larmes ont perlé. Les miennes.
On dira que c'était la fatigue, on dira.

Je vais aller voir la mer quelques jours et quand je le dis j'ai l'impression de parler de quelqu'un d'autre. Ca ne peut pas être moi, avec lui, comme si de rien n'était mais que tout avait changé. Je ne peux plus m'endormir sans serrer un pull dans mes bras et quand je lis la feuille d'admission des enfants à l'hôpital je réalise que moi aussi, avec 20 ans d'écart, j'ai un objet transitionnel. Je parle à des papas dans d'autres pays, je rencontre des mamans qui ont fait des bébés toute seule, j'explique aux enfants comme écouter leur coeur et ils l'entendent, mais oui pour de vrai, je berce des nourrissons pendant que leurs parents vont faire leur admission, je dis aux chefs que oui oui je sais faire alors que pasdutoutdutout, alors je dois assurer ensuite, et parfois j'y arrive. Parfois, j'y arrive, moi. Je m'en sors.