jeudi 31 juillet 2014

Hurler

Le premier matin sans toi a le goût amer des somnifères. J'ai essayé d'avaler les toutes dernières gorgées du chocolat chaud espagnol que tu m'avais offert, le dernier jour de nos dernières vacances, mais la nausée m'a rattrapée. J'ai le cœur au bord des lèvres, le corps qui s'arc-boute à chaque hoquet de sanglot et un feu qui me déchire le fond du ventre. Il fait insolemment beau, c'est ridicule. Qui aurait envie de mettre une robe et des sandales après avoir entendu cette phrase sans sens je-ne-sais-plus-si-je-suis-amoureux-de-toi. Et puis comment ça tu ne sais plus ? Comme si il pouvait y avoir un doute ? Je sais moi quand je vois tes yeux embués et ta bouche qui tremble me dire que tu ne sais pas, je sais quand je sens une dernière fois ton cou, la tête dans ton épaule pour laisser couler toute cette douleur qui me submerge, je sais quand je te regardais dormir la veille que je pourrais hurler des jours durant le manque de toi. Je sais quand mes doigts tremblent sur le clavier et que les larmes tombent dans mon bol de petit déjeuner que je ne sais plus faire le jour sans toi, être à la vie semble tellement fade sans le creux de ta main.

vendredi 25 juillet 2014

Ces deux là

Ma copine Adelles en avait parlé, ça m'a titillée, & quand j'ai lu les quatre thèmes il y en a un qui m'a accrochée. "Ça fait deux heures qu'il l'attend". Pof, quelques jours plus tard j'avais mes six mille signes pour le concours de nouvelles d'Au féminin. Je m'en fiche du nombre de votes, je n'ai aucune prétention dans cette compétition. Je voulais juste me prouver qu'une fois j'ai pu écrire "sur commande" et avoir votre avis sur ce texte qui change un peu. Il est ici (et il y a d'autres jolis textes à découvrir), et sinon juste là... 

     Il est assis sur le canapé, les yeux fixés sur le planisphère punaisé au-dessus de la télé. Il est rentré tôt, le parfum des vacances a vidé le bureau à dix-huit heures. Du dehors on entend les talons qui claquent sur le béton et résonnent jusqu’aux fenêtres et les voitures qui accélèrent après le dos-d’âne juste devant leur immeuble. C’est rare qu’il soit le premier à l’appartement et il profite de ces minutes de silence. Il pense à leurs vacances en Provence le mois prochain, les champs de lavande et son sourire au bord de la piscine. Ça sera bien. Il aimerait s’assoupir quelques minutes mais elle va bientôt rentrer et elle se moquerait de lui et de sa propension à s’endormir partout et tout le temps, tu devrais faire des concours de sieste elle lui dit souvent et il rit – jaune, parfois. L’odeur de la boulangerie qui se faufile parmi celles écrasantes de la ville parvient à ses narines et lui rappelle que c’est à son tour de cuisiner ce soir.
Ça fait deux heures qu’il l’attend. Dehors les bruits se sont assourdis, la boulangerie a fermé ses portes et les pas qui frappent le pavé sont pressés de rentrer. Il a fait le tour de l’appartement et rangé quelques bricoles, elle sera satisfaite quand elle rentrera. La table est mise pour deux et il guette le bruit de l’ascenseur pour allumer le four.
La sonnerie du téléphone brise le calme du salon. Il s’étonne, jamais personne n’appelle sur le fixe. Il pense ça fait deux heures que je l’attends et elle m’appelle sur le fixe ? Elle me fait une blague ? Il ne pense pas aux sirènes du SAMU qui hurlaient à l’autre bout du boulevard tout à l’heure. Il s’approche du téléphone, il n’a toujours aucun doute. Il est vierge de l’horreur, il est pur, blanc comme neige, il ne connait pas encore la douleur de la vie qui se disloque pour venir s’écraser en tout petits morceaux devant ses yeux, irréparable. Il pense quand même elle exagère, elle sait qu’il faut que je bosse après diner, il lui en veut un petit peu. S’il savait. Il met le téléphone à son oreille et bascule dans la vied’après. La déferlante de mots pourtant choisis avec soin vient s’ancrer comme un poignard au plus profond de son ventre. Il ferme les yeux. La femme s’égosille dans son oreille et il voudrait être très loin, dans un champ de lavande peut être. L’horreur l’éblouit et le ramène à l’appartement, Paris, le sol sur lequel il s’est effondré.
     Je suis face à elle. J’imagine que quelqu’un quelque part guette le bruit de la porte du hall qui se ferme un peu fort et les sandales qui claquent dans les escaliers mais je ne peux pas savoir que c’est lui, qui l’attend elle. Elle est allongée livide sur le drap pâle dans cette pièce sans vie, sans voix, sans rien qui la relie au monde des gens debout que le mouvement de son thorax à intervalles réguliers. Je sais qu’elle est gelée malgré les machines qui la maintiennent en vie, j’ai recouvert son corps nu d’une couverture d’hôpital. Elle est jeune, presque mon âge, et la voix dans ma tête qui me rappelle ça pourrait être toi, sonne un peu plus fort que d’habitude.
Je voudrais sortir du service, respirer un instant l’air du dehors avant qu’il n’arrive. Je ne me fais pas à cette odeur de javel qui tente de couvrir les urines transvasées de poches à bocaux, les cheveux sales, le reste de chili con carne des infirmières de nuit et le sang, surtout le sang. Je fais rouler une pièce dans ma poche, la machine à café m’appelle. Je n’ai pas eu le temps de manger mais ça m’embête de la laisser là toute seule et puis si il arrive je ne veux pas qu’il la découvre comme ça… Il est tard, il a dû l’attendre longtemps. Combien d’heures de retard avant qu’on ose appeler la police ? L’hôpital ?
Elle n’est pas si amochée finalement si on fait exception des deux cernes violettes qui barrent ses yeux. Je sais qu’il croira qu’elle dort seulement, je sais qu’il s’accrochera à cet espoir avec plus de force qu’il n’en aura eu dans sa vie précédente, sa vie avant ce soir. Certaines nuits je n’ai plus envie d’être celle qui détruit cet espoir, celle qui explique que même si on y croit le plus fort du monde, même si on fait mille pactes avec la vie, dieu, le vent, avec tout ce en quoi on croit, la personne allongée devant soi est morte, pour de vrai. Je suis désolée.
C’est laid la mort, ça te force à regarder des visages déchirés par les larmes, des nez qui coulent et des manches qui essuient. L’humain sans fard te transperce et le lendemain en rentrant chez toi après ta garde tu as perdu un nouveau bout d’innocence resté dans la pièce où tu as annoncé à une famille que la vie s’arrêtait là.
     Le dos d’âne devant l’immeuble fait retentir un bruit qui l’empêche de sombrer. Il voudrait pouvoir hurler sans un son jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien, plus que lui qui hurle dans un monde qui ne devrait pas exister, qui ne peut exister, dans lequel il ne peut se relever. Ça le brûle de l’intérieur, il n’a plus d’organes, il n’a plus de cerveau et puis il n’a plus de cœur, il semblerait qu’il ait explosé dans le combiné. Il ne reste que les mots qui résonnent et sa voix à elle, comme un écho. Il se roule en boule sur le tapis, sa tête pressée contre ses genoux repliés mais il n’arrive pas à être assez petit, assez microscopique pour ne plus avoir assez de chair pour souffrir. Il sent son sang battre dans ses tempes, sa vie se diffuser dans chacune de ses cellules et tout ce à quoi il pense c’est qu’il faut que ça s’arrête, là, maintenant.
     Il est arrivé dans la chambre et je les ai laissés se retrouver une dernière fois. Depuis l’encadrure de la porte je les observe, lui, si douloureusement vivant, elle impassible et impuissante. La mort a ça de bon de ne plus concerner ceux qu’elle rattrape. Il prend sa main et la pose sur sa propre joue. Le sang qui coule dans ses veines contre sa paume froide et raide. Il l’a attendue deux heures dans le petit appartement et leur au revoir a un goût d’inachevé.

mercredi 2 juillet 2014

Vos yeux près des miens, flous


J'en ai fait des photo mentales. Essayé de marquer au plus profond de moi la chaleur du sable, la douceur de ses grains - très fins à Arcachon, bien moins à Barcelone -, le goût de la glace au caramelbeurresalé, la sensation de son bras près du mien, son bras qui respire, son bras qui vit juste à côté alors qu'il y a deux ans j'étais sur cette même plage pansant mon manque de lui. Il y a eu le soleil qui brûle doucement la peau beige et la transforme en un brun clair, plutôt biscuit doré que caramel et l'odeur de la crème cette année, maintenant que je sais que le mélanome peut frapper à vingt deux ans (oui, j'ai encore des illusions, et pourtant). Les barbecues et les hamburgers, et le goût de la vraieviande pour la première fois depuis neuf ans, depuis que du jour au lendemain je n'avais plus jamais voulu avaler un seul morceau de steak, doucement et avec beaucoup de patience, mais une petite réussite quand même. Un soir au bar avec ses amies qui rient de nous voir tous les deux les yeux fixés sur l'enfant qui babille à côté de notre table, et lui qui assure "ah non pas tout de suite", moi qui sourit d'entendre évoquée l'idée d'un peut être plus tard. Il y a eu plusieurs fois où je lui ai glissé que c'était parfait, un moment parfaitement parfait, sans même avoir trop peur que ça nous porte malchance. 
Espérons que tout ce chaud me tienne jusqu'à l'hiver.